Le levier de dette au coeur des transmissions d'entreprises

L’entrepreneuriat est très développé au Luxembourg et le vivier d’entreprises familiales représente jusqu’à 80% des PME luxembourgeoises. Ces entreprises complètent l’économie locale et frontalière sur une Place financière forte.

L’accompagnement des dirigeants et des actionnaires de PME est vital tout au long de leur vie et de celle de leur entreprise, particulièrement lors d’un projet de transmission. La banque est naturellement un interlocuteur pivot aux côtés des conseillers spécialisés, lorsqu’il s’agit de financer la transmission ou la reprise d’entreprise tout en assurant la continuité de son développement.

Transmettre ou céder son entreprise ?

A certaines étapes importantes de leur vie, les actionnaires et dirigeants souhaitent parfois diversifier leurs risques, désindexer leur situation personnelle du poids de leur propre entreprise, et organiser leur transmission au profit des générations suivantes. Dans cette situation, ils sont bien souvent confrontés à la problématique du maintien ou non de leur société au sein du cercle familial ou au contraire de sa cession à un tiers. Serait-il possible de « couper la poire en deux » en récupérant d’un côté le produit de cession tout en conservant le contrôle de la société cédée, voire le maintien de la direction au sein de la famille ?

Sur base du schéma générique du « Leverage Buy Out » (LBO) combinant les différents effets de leviers juridique, financier et fiscal, la réponse semble positive. Elle peut s’articuler autour des montages patrimoniaux dits « Owner Buy Out » (OBO) ou sa variante « Family Buy Out » (FBO) avec intégration de la génération familiale suivante, auquel nous pouvons raisonnablement ajouter un 4e levier dit successoral.

Ce type d’opération consiste, pour l’actionnaire de référence de l’entreprise familiale, à procéder au rachat de cette dernière (dite société cible) via une société holding par la combinaison :

  • d’un apport[1], neutre sous conditions à Luxembourg, d’une partie des titres de la cible, constituant les fonds propres de la société holding de reprise, son socle financier minimum pour absorber la dette et pérenniser son développement futur.
  • d’une cession, via le recours à l’endettement, pour le rachat des titres restants dont le financement de l’opération peut être multi-formes (junior, sénior mezzanine) et doit respecter les capacités financières de la société familiale rachetée.

Si la volonté du dirigeant est d’intégrer sa famille, il va alors procéder à la donation des titres de la société familiale (holding ou société d’exploitation) au profit de la génération suivante (ou toute personne qu’il souhaite gratifier) avec ou sans rétention d’usufruit à son profit. La gouvernance au sein de la holding de reprise pourra prendre plusieurs formes, pour dissocier la propriété économique et juridique des actifs définitivement reçus, si le sujet s’avère nécessaire, en présence d’enfant(s) mineur(s) par exemple.

L’impact fiscal d’une telle décision

Pour la partie de titres donnés, en dépit d’une potentielle valeur faible des titres de la société holding donnée, chez les résidents luxembourgeois, les donations de titres ne sont pas très onéreuses (parfois gratuites sous conditions), en ligne directe, en général le taux de taxation est de 1,8% de la valeur des titres donnés, sur la part légale.

Si la famille est internationalisée, il convient de prendre en compte le coût fiscal de l’autre côté de la frontière. En France, ce coût peut être élevé sans la mise en œuvre de certains dispositifs légaux qui existent pour faire perdurer des entreprises familiales lorsqu’elles restent conservées et dirigées par la famille, dans ce cas le coût de transmission est considérablement diminué (i.e pacte Dutreil)[2].

En cas de donation des titres d’une société luxembourgeoise dans un contexte transfrontalier, les familles ne sont pas toujours privilégiées, les donations de titres à des non-résidents entrainent normalement la découverte des plus-values latentes. Ainsi, à la différence de la France, la donation ne purge pas la taxation de la plus-value.

En l’absence d’anticipation, les titres de l’entreprise qui se trouveraient dans une succession au Luxembourg seraient exonérés de droits en ligne directe et vers le conjoint. Ce qui est une singularité par rapport à d’autres pays.

Sur la partie cédée, l’impact fiscal variera selon la juridiction en cause. Au Luxembourg, sur les participations importantes cédées[3], les résidents sont imposables au demi-taux global avec abattement de 50.000 ou 100.000 euros (par 10 ans), le taux final maximum de taxation approche les 24%, contrairement aux non-résidents qui sont exonérés au  Grand-Duché[4] mais pas forcément dans leur pays de résidence.  Par ailleurs, les familles doivent être vigilantes sur le prix de revient à prendre en considération.

Toutefois, au Luxembourg comme ailleurs, les entreprises sont traditionnellement détenues par des structures intermédiaires et non en propre. En pareille situation les plus-values de cessions de titres de participations qualifiantes sont exonérées sous conditions. Dès lors l’impact fiscal est différent selon la structuration préexistante. 

Quant au remboursement de la dette

Le levier de dette peut avoir différentes origines : bancaire, familiale ou encore tierce via le recours à un fonds d’investissement spécialisé au capital, de type Private Equity (PE). Faire entrer un tel véhicule d’investissement facilite dans certains cas le soutien financier de l’opération et nécessite de prévoir la sortie définitive. Face à cette stratégie de « haut de bilan », l’accompagnement des actionnaires et des dirigeants dans le futur développement est vital. Par ailleurs, le financement de la holding de reprise peut se faire en obligations convertibles. Dans ce cas, le chef d’entreprise cédant, au lieu de souscrire un crédit vendeur, ou familial, peut opter pour de tels instruments pour financer le rachat et exercer son droit de conversion à terme (ou avant) et reprendre la main, si c’est nécessaire, notamment en cas d’imprévu. 

L’endettement (souvent entre 5 et 7 ans), étape clé, souscrit par la société holding de rachat est acquitté jusqu’à son terme grâce aux cashflows récurrents de la société opérationnelle rachetée.

Ce sont les distributions de dividendes versées par la fille à sa société mère en neutralité fiscale[5]  qui seront la première source de désendettement. Souvent une partie de la trésorerie disponible de la société est utilisée pour financer la reprise de l’entreprise familiale. La déductibilité des intérêts du ou des prêts souscrits peut également tendre vers une certaine neutralité fiscale[6], sous respect des règles de recapture et de limite de déductibilités.

Les modalités de remboursement de la dette, amortissable, mezzanine, sont essentielles et doivent être établies en adéquation avec les capacités de remboursement et la solvabilité de l’entreprise opérationnelle rachetée.

Céder et transmettre sont adaptés à l’environnement luxembourgeois. Il est en effet possible de vendre son entreprise à soi-même, en intégrant ou non sa famille, en donnant progressivement ou partiellement des titres de son entreprise selon le degré d’implication familiale aux affaires. Au final, l’actionnaire historique récupère tout ou partie du prix de cession de sa société opérationnelle dans un cadre favorable tout en conservant son contrôle (seul ou avec sa famille), avec la possibilité de faire emploi des liquidités reçues pour diversifier ses avoirs et investissements, ou encore de développer ses projets personnels.

Le potentiel de ces opérations de transmission est intéressant, mais des précautions doivent être prises et une structuration avisée tenant comptes des aspects juridiques fiscaux et financiers est impérative. De nombreux facteurs doivent être préalablement pris en compte pour la bonne réalisation du volet financier, parmi lesquels une bonne rentabilité économique, une capacité de développement et production suffisante de cash-flow, voire une trésorerie excédentaire.

Enfin, la transmission d’entreprise est un sujet sur mesure dans lequel chaque participant à une valeur ajoutée à proposer pour compléter un cadre générique détaillé plus haut.

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02/2023

[1] Art 22 bis et 102 LIR

[2] Article 787 B du CGI – Exonération des DMTG à hauteur de 75% de la valeur des droits transmis, notamment sous réserve de la conservation des titres reçus. Les holdings « animatrices » étant admises au dispositif.

[3] Participation « importante » si détention de > 10% du capital social au cours des 5 années précédant la cession.

[4] Art 156 LIR : Les non-résidents sont en revanche imposables s’ils ont résidé au Luxembourg pendant plus de 15 ans et ont transféré leur domicile fiscal il y a moins de 5 ans.

[5] En application du régime de faveur des dividendes dit « mère-fille ». Une intégration fiscale du groupe peut par ailleurs maximiser l’effet précité.

[6] Sous respect des limites de l’art. 166 LIR et 168 bis LIR

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